Grenelle de l'éducation
Espace dédié à l'expression
Consulter les rééducateurs
Dans certains pays (Argentine, Vietnam, …) existe un système d’accompagnement individuel des enseignants à leurs débuts et tout au long de leur carrière. Il permet de discuter des problèmes quotidiens que rencontrent les débutants avec leurs élèves pour élaborer des réponses concrètes à tester sur le terrain et à analyser lors de la prochaine rencontre.
Daniel Pennac note à juste titre que notre système français est envahi par l’évaluation permanente des uns par les autres qui fait considérer le fait de se dévoiler devant autrui comme un risque. Il est pourtant vital que chacun puisse parler de ses difficultés, seul ou en groupe, pour une meilleure efficacité de l’enseignement : favoriser la réflexion hors du « feu de l'action », développer le sentiment de compétence professionnelle, rendre ou retrouver confiance en soi, accroître ses capacités d'innovation en bénéficieront.
Heureusement, de nombreux enseignants osent malgré tout poser des questions aux autres, généralement encouragés par des directeurs fédérateurs. Mais les formations continues qu’on leur propose ne correspondent pas toujours à leurs problèmes. Par exemple, l’hétérogénéité des classes est un souci majeur pour eux, à laquelle ils ne sont pas formés. Comme orthophoniste, on m’a souvent demandé une journée de formation sur ce sujet. Je l’ai toujours dispensée gracieusement, les directeurs n’ayant pas de quoi me dédommager.
Et j’ai créé une association dans la banlieue sud de Paris (RÉSÉDA, RÉseau de Soutien et d’Échanges autour des Difficultés d’Apprentissage, pour une Éducation Partagée) qui réunit des publics variés pour partager les connaissances des uns et des autres : enseignants, rééducateurs, parents. Les enseignants viennent nombreux, le soir, aux conférences des orthophonistes, psychomotriciens, psychologues qui leur apportent un autre regard sur leurs élèves.
Je remarque que les rééducateurs ne sont pas cités dans les publics participant aux ateliers du Grenelle de l’Éducation: personnels, parents d’élève, syndicats et société civile.
De même il est très regrettable que les rééducateurs en mathématiques n’aient pas été consultés pour l’excellent rapport rédigé en 2018 par MM Villani et Torossian.
Le rapport note, par exemple, que les enseignants devraient avoir une meilleure connaissance de la psychologie de l’enfant.
Certes les orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes voient des personnes handicapées dont le trouble ou le retard intellectuel est la cause principale de leurs difficultés. Mais nous voyons aussi beaucoup d’enfants, adolescents, adultes sans trouble particulier que le mode d’enseignement français fait souffrir. Les jeunes nous consultent parce qu’ils développent très vite des problèmes d’échec scolaire (et illettrisme/ innumérisme) et de santé psychique. En France ils sortent du champ de vision du Ministère de l’Éducation Nationale pour entrer dans celui du Ministère de la Santé et devenir un problème de Sécurité Sociale, ce qui n’est pas juste et évite de se poser de bonnes questions.
Même si la comparaison peut choquer, il est courant de dire que c’est l’observation des blessures des grands traumatisés crâniens de la Grande Guerre qui a fait avancer considérablement la neurologie au 20ème siècle. De même l’analyse précise et le découpage en étapes très fines, nécessaires pour aider un enfant « empêché », peut être utilisée pour comprendre le développement intellectuel de tous les enfants.
Le niveau des élèves a baissé en mathématiques et en sciences ? Et pourtant il existe des solutions élaborées par les rééducateurs en mathématiques, utilisées quotidiennement en relation individuelle ou dans des groupes-classes. Nous avons appris à reconnaître les étapes de développement pour « écouter » le déroulement de la pensée de l’enfant et le guider: où en est-il de son raisonnement? Que puis-je lui proposer pour aller plus loin sans que cela soit inaccessible? Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire de changer une fois de plus les contenus de l’enseignement, mais plutôt la façon de les enseigner.
L’école gagnerait à dialoguer avec des praticiens dont le point de vue est complémentaire. D’autant plus que les neurosciences apparues récemment confirment la validité des techniques que nous utilisons et qui respectent la plupart des préconisations de MM Villani et Torossian, depuis 50 ans.
Notre expérience pourrait enrichir la réflexion sur l’amélioration de l’enseignement en France, en participant à la formation des enseignants. Nous sommes habitués à ne pas juger, évaluer puisque notre métier est de partir toujours de là où en est notre interlocuteur. Nous cherchons à ne pas dire « c’est bien, bonne réponse», « c’est mal, mauvaise réponse» pour dire plutôt « explique-moi comment tu as trouvé», « pourquoi est-ce que tu penses cela ?» Nous sommes donc capables d’accompagner des enseignants à faire entendre leurs besoins dans un climat de confiance.
ICM orthophoniste
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