Grenelle de l'éducation
Espace dédié à l'expression
Inclure les rééducateurs dans la formation des enseignants
Orthophoniste, rééducatrice en mathématiques depuis plus de 40 ans, j'ai été appelée à partager mon expérience de nombreuses fois avec des groupes d'enseignants, surtout du primaire. Mais ces temps de réflexion étaient très courts ( une journée) parce que les directeurs qui m'avaient sollicitée n'avaient pas de quoi me dédommager. Ils affirmaient pourtant qu'ils avaient beaucoup appris grâce au regard différent de l' orthophoniste et auraient souhaité poursuivre notre travail commun.
On constate que les formations continues proposées par l'Education Nationale ne correspondent pas toujours aux problèmes réels quotidiens des enseignants. Par exemple, l’hétérogénéité des classes est un souci majeur pour eux, auquel ils ne sont pas formés. Or l'orthophoniste est bien placé pour traiter ce sujet, entre autres exemples. S'adapter à chaque enfant est son pain quotidien.
J’ai créé une association dans la banlieue sud de Paris (RÉSÉDA, RÉseau de Soutien et d’Échanges autour des Difficultés d’Apprentissage, pour une Éducation Partagée) qui réunit des publics variés pour partager les connaissances des uns et des autres : enseignants, rééducateurs, parents. Les enseignants viennent nombreux, le soir, aux conférences des orthophonistes, psychomotriciens, psychologues qui leur apportent une autre perspective sur leurs élèves.
Je remarque que les rééducateurs ne sont pas cités dans les publics participant aux ateliers du Grenelle de l’Éducation: personnels, parents d’élève, syndicats et société civile.
De même il est très regrettable que les rééducateurs en mathématiques n’aient pas été consultés pour l’excellent rapport rédigé en 2018 par MM Villani et Torossian. Le rapport note, entre autres, que les enseignants devraient avoir une meilleure connaissance de la psychologie de l’enfant.
Certes les orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes voient des personnes handicapées dont le trouble ou le retard intellectuel est la cause principale de leurs difficultés. Mais nous voyons aussi beaucoup d’enfants, adolescents, adultes sans trouble particulier que le mode d’enseignement français fait souffrir. Les jeunes nous consultent parce qu’ils développent très vite des problèmes d’échec scolaire (et illettrisme/ innumérisme) et de santé psychique. En France ils sortent du champ de vision du Ministère de l’Éducation Nationale pour entrer dans celui du Ministère de la Santé et devenir un problème de Sécurité Sociale, ce qui n’est pas juste et évite de se poser de bonnes questions. les deux ministères ne travaillent pas ensemble.
Même si la comparaison peut choquer, il est courant de dire que c’est l’observation des blessures des grands traumatisés crâniens de la Grande Guerre qui a fait avancer considérablement la neurologie au 20ème siècle. De même l’analyse précise et le découpage en étapes très fines, nécessaires pour aider un enfant « empêché », peut être utilisée pour comprendre le développement intellectuel de tous les enfants. Pour faire court, "la pathologie est utile pour comprendre la normalité".
Le niveau des élèves a baissé en mathématiques et en sciences ? Et pourtant il existe des solutions élaborées par les rééducateurs en mathématiques, utilisées quotidiennement en relation individuelle ou dans des groupes-classes. Nous avons appris à reconnaître les étapes de développement pour « lire » le déroulement de la pensée de l’enfant et le guider : où en est-il de son raisonnement? Que puis-je lui proposer pour aller plus loin sans que cela soit inaccessible? Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire de changer une fois de plus les contenus de l’enseignement, mais plutôt la façon de les enseigner.
L’école gagnerait à dialoguer avec des praticiens dont le point de vue est complémentaire. D’autant plus que les neurosciences apparues récemment confirment la validité des techniques que nous utilisons en mathématiques et qui respectent la plupart des préconisations de MM Villani et Torossian, depuis 50 ans.
Pr Cyrulnik parle à juste titre de l'agilité récente des personnels éducatifs pour s'adapter à la nouvelle situation. Je sais pour ma part pour en avoir parlé aux personnes concernées, que c'est au prix de considérables efforts que chacun a bricolé des solutions dans son coin, réinventant des choses déjà connues par d'autres. Beaucoup de temps et d'énergie ont été perdus. Les inégalités scolaires qui résultent de la situation et qui s'accentuent vont demander encore plus d'adaptabilité aux différents cas de figure possibles. L'hétérogénéité des classes va nécessairement augmenter. Il est urgent de faire connaitre les méthodes qui marchent avec les uns et les autres, on va de moins en moins enseigner à une "moyenne" d'enfants.
Les enseignants ne sont pas encore remis de l'obligation qui leur a été faite d'intégrer les enfants handicapés ( loi Borloo 2005) sans avoir eu la moindre formation. La situation actuelle va encore complexifier leur tâche.
En conclusion je voudrais attirer votre attention sur l' expérience des rééducateurs qui pourrait enrichir la réflexion sur l’amélioration de l’enseignement en France, en participant à la formation initiale ou continue des enseignants.
Isabelle
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