Grenelle de l'éducation
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Le salaire de la honte
Je ne suis professeur que depuis deux ans, mais suis issu d'une famille d'instituteurs de la IIIe République et de professeurs du secondaire, certains agrégés de physique et d'anglais.
Je sais la fierté que c'est d'enseigner et de voir ses élèves réussir, obtenir une vie meilleure et d'être respecté pour ce travail là.
Je suis donc tombé dedans quand j'étais petit et en entends parler depuis longtemps. Mais je sais aussi le temps que ce métier prend, l'énergie qu'il consomme, les maladies et les douleurs qu'il peut apporter.
Je sais tout aussi bien l'abnégation et l'engagement personnel - sur lequel l'institution joue trop souvent - que cela demande. Surtout lorsque l'on est payé aussi peu en comparaison avec d'autres métiers. Métiers pour lesquels on exige moins d'années d'études et qui ne nécessitent pas de passer de concours pour la plupart.
Je sais aussi que dans d'autres pays, pas si lointains : la Suisse, le Luxembourg, l'Allemagne, la Belgique, leurs confrères sont bien mieux payés. La France ne s'est-elle d'ailleurs pas faite épingler pour cela par la Commission européenne ?
Faut-il s'étonner que beaucoup de nos collègues préfèrent enseigner outre Rhin ou sur l'autre rive du Léman pour gagner plus en faisant la même chose ? Qui serait assez stupide pour ne pas comprendre cela ?
Et pourtant, il semblerait qu'en France, on estime que le salaire versé aux professeurs et aux débutants stagiaires leur suffit amplement pour qu'ils restent dans l'institution et soient attirés par le métier.
Pour ma part, au ras des pâquerettes puisque novice, je touche 1 447 euros net cette année. J'ai une licence, deux masters dont un obtenu à l'étranger, passé le concours et prépare l'agrégation. J'ai une femme sans emploi et deux enfants à charge, un loyer à payer, des charges qui me coûtent presque tout mon salaire, je fais 560 km/semaine pour aller enseigner sans savoir si les frais engendrés : essence, révision de la voiture, etc. me seront remboursés. J'ai la chance de ne pas habiter à Paris ni dans d'autres villes où la vie coûte cher, sinon, je ne sais comment je ferais pour vivre dignement.
J'ai eu la chance de faire d'autres métiers et de vivre à l'étranger. J'ai eu des salaires qui représentaient le triple de ce que je reçois aujourd'hui pour un travail bien moins contraignant et avec moins de responsabilités. Bien sûr, j'ai fait le choix d'enseigner. Je ne le regrette pas. Mais je n'ai pas fait ce choix pour le salaire, ça c'est certain, et je le savais. Mais quelle surprise d'entendre mes collègues me dire à ma première rentrée que j'allais devoir planter des patates et tricoter mes propres pulls les premières années. Quelle perspective encourageante ! Quel métier vendeur ! Et pourtant, c'est la réalité.
Comment espérez-vous recruter des enseignants avec ces conditions salariales ? Comment pensez-vous qu'un jeune étudiant qui a fait, au minimum, cinq ans d'études va se tourner vers ce métier pour un si petit salaire si ce n'est parce qu'il ne connait pas la réalité des autres métiers ? Comment pouvez-vous ne pas voir les vraies raisons du désintérêt pour ce métier et la fuite des enseignants ou des étudiants vers d'autres secteurs plus lucratifs ?
Quand, il y a 40 ans, un enseignant était fier de dire qu'il l'était, c'était parce qu'il était respecté, possédait un véritable statut social et institutionnel accordé par un traitement décent, en accord avec le coût de la vie de l'époque, et qui lui permettait de vivre confortablement et sans frustration. Peu importe où il habitait.
Aujourd'hui, les enseignants eux-mêmes en sont à dire à leurs enfants de ne pas enseigner car c'est trop mal payé... Mais où va-t-on si ce n'est dans le mur ?
Forme-t-on des gens à enseigner dans nos universités pour qu'ils découvrent ensuite qu'ils ne pourront pas en vivre décemment et qu'ils auront un statut que personne ne leur envie ?
En est-on vraiment encore à imaginer qu'on attrape des mouches avec du vinaigre au Ministère de l'Education ?
Que le gouvernement, que l'institution réfléchissent à leurs choix budgétaires, que la France investisse enfin dans ses enseignants, qu'elle leur donne le moyen d'oublier leurs difficultés financières et de se concentrer sur leur travail au lieu de se sentir humilié en permanence par l'institution, la société et finissent par se sentir honteux d'être enseignant...
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